© Arthur Pequin
Rencontre avec Yolaine Paufichet, architecte DPLG, gérante d’Y3 architectes et élue au Conseil national de l’Ordre des Architectes, qui nous parle rénovation énergétique et qui rappelle qu’il faut aussi l'appréhender en fonction du confort d’été

« Le confort d’été est une question de santé publique »

Technic’baie : Quelle est la place de la rénovation énergétique en 2023 ?

Yolaine Paufichet : La rénovation du parc bâti est indispensable quand on sait qu’aujourd’hui, 80 % de la ville de 2050 existe déjà et qu’il y a plus de cinq millions de passoires thermiques. Elle fait partie des solutions pour faire face aux différentes crises que nous traversons telles que le réchauffement climatique, la pénurie des ressources ou encore la crise énergétique, avec l’objectif d’une décarbonation d’ici 2050.

Technic’baie : Comment l’envisager ?

Y.P. : Il faut avant tout rappeler que si l’on prend le secteur du bâtiment dans son ensemble, un tiers des émissions de gaz à effet de serre est lié à la construction ou à la rénovation alors que deux tiers sont dus à l’usage. Ce n’est pas juste l’action de rénover – ou de construire – qu’il faut étudier mais aussi la façon dont chacun utilise les bâtiments. Il faut avoir une vision globale afin d’avoir la meilleure réponse possible par rapport à l’usager et à la pérennité de la rénovation. D’où, par exemple, la communication faite cet hiver sur l’importance de ne pas mettre son chauffage à plus de 19°C, participant à ne pas entraîner de surconsommation énergétique. Mais si on regarde la question de l’usage, cela implique ensuite un travail à faire sur le bâti existant. Car pour baisser son chauffage à 19°C, il faut avoir un logement performant thermiquement.

Technic’baie : Comment faut-il s’y prendre concrètement ?

Y.P. : Il faut penser rénovation globale, impérativement. Ce sera plus performant et plus efficace qu’une rénovation par étapes. Il y a de nombreux points à prendre en compte. L’isolation des sols, des murs et des plafonds, la ventilation du bâti, les menuiseries extérieures, la qualité de l’air… Changer les fenêtres sans penser à l’isolation ne règlera qu’une partie du problème. Si l’on saute les étapes, comme réfléchir à comment améliorer la qualité de l’air du logement ou modifier la ventilation existante, on risque d’enclencher des pathologies dans le bâtiment. D’où le besoin d’une vision globale.

« Il faut impérativement créer un écran solaire. Naturellement, en plantant des arbres devant les façades, ou en utilisant des protections solaires. »

Technic’baie : Rénovation énergétique rime souvent avec protection contre le froid. Qu’en est-il du confort d’été ?

Y.P. : Il est primordial. C’est même une question de santé publique, la canicule de 2003 en est un exemple flagrant. La RE 2020 l’a bien compris, avec pour la première fois la prise en compte du poids carbone des bâtiments et celle de confort d’été. Face au réchauffement climatique, il faut avant tout se protéger du chaud. Nous prônons une rénovation énergétique bas carbone et low tech, avec pour objectif d’utiliser le moins de systèmes possibles. Et faire travailler l’usager ! N’oublions pas que le simple fait d’ouvrir une fenêtre la nuit permet d’aérer efficacement le logement et d’améliorer la sensation de frais dans la journée.

Technic’baie : Justement, en journée, comment limiter l’apport de chaleur et donc le recours à la climatisation, très énergivore ?

Y.P. : Au-delà de la ventilation du logement, garante d’une température plus modérée, il existe deux leviers majeurs. D’abord, en matière d’isolation thermique, il est primordial de parler de déphasage quand on évoque le confort d’été, c’est-à-dire la capacité d’un matériau à restituer dans le temps plus ou moins long la chaleur. Plus le matériau utilisé mettra de temps à la restituer, moins il fera chaud dans les logements. Le confort d’été n’est pas assez considéré en rénovation. Aujourd’hui, le prisme des matériaux biosourcés offre des déphasages importants et excellents en termes de confort d’été comme la fibre de bois, les ballots de paille ou les projections en béton de chanvre. Ensuite, il faut impérativement créer un écran solaire. Si cela est possible, naturellement, en plantant des arbres devant les façades, et notamment celles orientées plein sud. Mais aussi en utilisant des protections solaires extérieures. BSO, persiennes, stores… Leur efficacité n’est plus à prouver, et les habitants du sud de la France le savent bien ! C’est également la solution pour les façades qui peuvent être compliquées à rénover du point de vue du respect architectural. Avec les bâtiments haussmanniens, par exemple, on ne pourra pas œuvrer directement sur la façade. Le recours aux protections solaires pourra être une bonne solution pour limiter les apports solaires pendant les journées de fortes chaleurs.

Technic’baie : Les pouvoirs publics ont-ils intégré le lien entre rénovation énergétique et confort d’été ?

Y.P. : Des concertations existent avec des associations et le gouvernement. Le message est clair: la question du confort d’été est essentielle, et notamment du point de vue de la santé. De nombreux bâtiments sont à la traîne, notamment dans le secteur de la santé, comme les Ehpad, les hôpitaux ou encore les maisons de santé. Il n’y a pas, aujourd’hui, de réglementation, et nous ne pouvons pas dire s’il y en aura une dans les années à venir. Mais les pouvoirs publics sont alertés. Reste à savoir si la manière d’y répondre sera adaptée.